Marisol Touraine L'enjeu de la loi de Santé : organiser les parcours des patients et coordonner les professionnels

Marisol Touraine a présenté le 19 juin dernier son projet de loi de santé, décliné en quatre grands chapitres. Le texte sera présenté en septembre au conseil des ministres. L’Assemblée nationale devrait s'en saisir début de 2015. Il propose de "relever les grands défis auquels notre système de santé est confronté". Retour sur les points qui impactent en priorité la médecine générale.

C'est à une véritable broncha médiatique sur le tiers payant auquel les Français ont assisté à la sortie de la conférence de présentation de la loi de Santé, le 19 juin dernier, alors même que nos concitoyens lui sont favorables à 54 % (contre 34 % d'opposés) comme le souligne le sondage du Parisien du 21 juin. Ce tiers payant ne fut pourtant évoqué que tardivement par la ministre (1) parmi les dispositions relatives à la mise en place d'un service territorial de santé, qui représente le deuxième axe d'un projet de loi que Marisol Touraine résuma en une formule : " ni nouveau grand mécano institutionnel, ni loi de santé publique", mais "une réforme structurante, pour attaquer les inégalités de santé à la racine", une réforme "qui installera le parcours dans notre système de santé, c'est-à-dire une prise en charge dans la proximité et la continuité." Autrement dit les Français benéficieront demain d'un remboursement des soins simplifié, de délais de consultation plus brefs, d'une prise en charge plus fluide et compréhensible par tous. Ceci pour les objectifs généraux de la future loi dont débattront les députés et sénateurs à compter de janvier prochain, le temps pour le gouvernement de se saisir, en septembre, d'un texte plus étayé dont on devine qu'il nécessitera encore quelques arbitrages et sera l'objet de bien des pressions des lobbystes de la santé.

Ce projet prolonge la feuille de route de la stratégie nationale de santé (SNS) et réalise en quelque sorte la synthèse des 160 forums régionaux qui se sont tenus depuis novembre dernier à l'initiative des Agences régionales de santé, mobilisées pour faire remonter les demandes et attentes du terrain. "Plus de 25 000 personnes ont ainsi participé à la réflexion sur les orientations de la loi de santé", a souligné Marisol Touraine, qui aime à rappeler que la SNS s'inscrit dans le droit fil des travaux du HCAAM et qu'elle s’appuie sur les analyses d’Alain Cordier et du Comité des sages, tout comme elle a intégré le Pacte de confiance à l’hôpital, le Pacte santé territoire (sur les désert médicaux) et l’engagement du Président de la République de généraliser la complémentaire santé.

Priorité à la prévention

Sur l'économie générale du texte présenté le 19 juin, on retiendra la volonté affichée du gouvernement de donner la priorité à la prévention, à l'éducation à la santé par le développement de programmes de formation des jeunes (nutrition, programme national de réduction du tabagisme, lutte contre l'alcoolisme, accès à la contraception d'urgence,…) qui bénéficieront bientôt, à l'instar de leurs parents, d'un médecin traitant, généraliste ou pédiatre, qui "sera le responsable au long cours du suivi du parcours de soins de chaque enfant.". Décriée par les syndicats pluricatégoriels de médecins, dont la CSMF et les pédiatres, la mesure avait été demandée de longue date par le syndicat des généralistes MG France qui a récemment organisé un colloque à ce sujet. Pour "faire partager, par l’ensemble du gouvernement, les priorités de santé" déclinée sur le registre de la prévention, un comité interministériel pour la santé sera mis en place ainsi qu'un Institut pour la prévention, la veille et l’intervention en santé publique, pour "renforcer l'efficacité de nos structures administratives". Enfin, le projet de loi confortera la mobilisation des acteurs locaux et sociaux, collectivités territoriales, associations et acteurs sociaux. En juillet prochain, une conférence sociale débattra de la question de la santé en milieu professionnel.

Nouvelles organisations pertinentes sur les territoires

La question de l'accès aux soins est incontestablement l'affaire qui mobilise le plus la ministre de la Santé. A cet effet, le projet de loi propose de mettre en place un service territorial de santé au public qui "organisera les parcours de demain à partir d’un premier recours efficace et d’un service public hospitalier rénové". Les deux secteurs, ambulatoire et hospitalier sont ainsi invités à mieux travailler ensemble. Pour le premier, il s'agit de "faciliter la structuration territoriale des soins primaires". Cinq domaines clefs sont visés : les soins de proximité, la permanence des soins, la prévention, la santé mentale et l'accès aux soins des personnes handicapées. Tous les acteurs des soins primaires - médecins traitants, professionnels libéraux, hospitaliers et médico-sociaux - devront s'organiser et "proposer aux agences régionales de santé des organisations pertinentes prenant en compte les expérimentations déjà lancées et les réalités de terrain." Au nombre de celles-ci figurent déjà les maisons et pôles de santé pluridisciplinaires qui ont mis en place des réponses locales ou territoriales aux besoins de santé des Français. Les Agences régionales de santé sont à ce titre sollicitées et elles devront réorienter leurs financements. "Pour être autorisées, certaines activités seront conditionnées à la participation de leur titulaire à la permanence des soins", a précisé à cet égard la ministre. Bernadette Devictor, présidente de la CNS

" La réorganisation de l’offre autour des parcours de santé s’impose à tous comme une évidence, elle passe en particulier par la structuration du premier recours", a expliqué de son côté Bernadette Devictor (photo), présidente de la Conférence nationale de Santé (CNS) et auteur d'un rapport (2) sur le service public territorial de santé (SPTS) dont s'est inspirée la ministre de la Santé pour son projet de loi. "Pour parvenir effectivement à la mise en oeuvre de ces réformes, il est attendu une gouvernance en santé moins dispersée, plus efficiente, mettant en place des allocations budgétaires en ligne avec les priorités annoncées", précise encore la présidente de la CNS.

Mieux coordonner les professionnels

Pour atteindre cet objectif d'une meilleure organisation, le projet de loi propose de mettre en place un parcours organisé des soins. "Il s’agira, explique la ministre, de mieux coordonner les professionnels, de faciliter les coopérations pour que les patients, notamment les malades chroniques qui ont besoin d’un suivi complexe, ne soient plus ballottés. Et ça, cela se passe en proximité." Pour le gouvernement, le parcours équivaut à de la coordination entre les acteurs de santé. Une coordination qui, pour être effective, sera dotée d'outils. Ainsi un patient qui sortira de l'hôpital devra être muni d'une "lettre de liaison", au besoin dématérialisée, pour son médecin traitant. Une demande maintes fois formulées par les praticiens, comme par les pharmaciens, mais qui jusqu'alors n'a pas toujours été concrétisée. De plus, les patients chroniques auront en main, pour les guider dans les dédales de la médecine moderne, un programme personnalisé de soins (PPS). Cet outil de coordination entre professionnel de santé permettra de de simplifier le parcours du patient et de prévoir les différentes prises en charge nécessaires en cas de situation stable. De leur côté les professionnels de santé disposeront auprès des ARS de plateforme territoriales d'appui concues en commun et qui "faciliteront la prise en charge de leurs patients, notamment les plus complexes." Eternel serpent de mer du système de santé aux coûts non maîtrisés, le dossier médical sera relancé et deviendra "partagé" au lieu d'être uniquement "personnel". Sa maîtrise d’œuvre sera pour l'avenir confiée à l’assurance maladie. Enfin, pour encourager les professionnels de santé à s'investir dans le développement des parcours, leurs modes de rémunération seront amenés à évoluer. Mais ce qui est actuellement l'objet de négociations entre l'assurance-maladie et les médecins achoppe encore sur une définition juridique du futur accord. "Je renouvelle ma confiance aux partenaires conventionnels pour aboutir avant la fin du mois de juillet", a lancéé Marisol Touraine, en ajoutant que s'ils ne parvenaient pas à un accord, "alors je procéderais par voie d’un règlement arbitral."

Un dispositif conventionnel rénové

Toujours sur le chapitre du cadre qui régit les relations entre médecins et assurance-maladie, la ministre de la Santé a précisé que le dispositif conventionnel en place sera rénové : " Si la négociation nationale reste le cadre de référence, elle devra d’emblée intégrer l’exigence de sa nécessaire adaptation régionale et territoriale." "Il n’y a qu’une seule politique de santé et chacun doit y contribuer pour sa part, acteurs nationaux comme acteurs locaux, acteurs publics comme acteurs privés", a-t-elle ajouté, comme pour mieux souligner que l'Etat a bien la tutelle sur l'assurance-maladie. Il reste désormais à ce projet à devenir un texte de loi susceptible de faire consensus dans les rangs du corps médical qui attend surtout des moyens supplémentaires pour s'engager dans ce qui n'est somme toute qu'un nouveau pari sur l'avenir de la santé en France. Une réforme qui ait du sens et des objectifs clairs, qui permette de mieux soigner les Français et qui puisse contribuer à réduire les coûts de la santé, c'est tout l'enjeu autour duquel les parlementaires auront à débattre dès janvier prochain.

Jean-Jacques Cristofari

(1) " Dès l’an prochain, les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé seront ainsi dispensés d’avance de frais, a annoncé la ministre. Pour parvenir à une solution rapide, l’Assurance maladie sera pour cette première étape l’interlocuteur privilégié des médecins, comme elle l'est déjà pour la couverture médicale universelle. Cette décision n'emporte pas de conséquences sur les dispositifs déjà existants chez d'autres professionnels de santé, comme les pharmaciens, par exemple. D’ici 2017, le tiers-payant sera étendu à tous les assurés. Il apportera au médecin une garantie de paiement sans délai et sera simple à utiliser." Marisol Touraine a, au cours de sa conférence, invité à faire litière de toute vision d'un tiers payant qui assimilerait la France aux soviets de l'URSS d'hier.
(2) "Développer l’approche territoriale et populationnelle de l’offre en santé", Service Public Territorial de Santé – Service Public Hospitalier, mars 2014.