Sortir les soins primaires des ornières
La question a été posée lors d’un récent colloque organisé par le syndicat des généralistes MG France qui réclame depuis des mois un fond d’investissement pour les soins primaires, doté de 5 milliards d’euros. Elle devrait obtenir une réponse dans le prochain projet de loi de financement de la Sécu qui sera présenté prochainement au Parlement. Dans cette attente, Nicolas Revel, le patron de la CNAMTS, se dit prêt à investir sur les structures de prise en charge et les outils et encourage les professionnels de terrain à mieux coordonner leurs actions.
L’amphithéâtre était rempli jeudi 14 septembre et les généralistes de MG France étaient venus en nombre pour évaluer l’écho donné aux propositions du syndicat par le directeur de l’Assurance-maladie. Invité à ouvrir la séance, Nicolas Revel a d’emblée souligné que l’organisation des territoires était bien l’enjeu principal des années à venir et les communautés professionnelles de territoire de santé (CPTS) une des réponses pertinentes possibles (1). Il a rappelé les carences de notre système de santé, encore trop hospitalo-centré, soumis à de fortes tensions et pressions budgétaires et qui manque d’efficience. Il a également fait savoir que le « virage ambulatoire » était surtout resté cantonné à l’hôpital avec le développement de la chirurgie ambulatoire et qu’il fallait désormais que soit engagé le « virage de la prise en charge à domicile », qui « suppose les mêmes efforts dans l’organisation des soins de ville » et une rupture dans le cloisonnement entre la ville et l’hôpital. « La ville est dispersée, ses acteurs pas assez organisés et le système reste cloisonné entre la ville et l’hôpital » a martelé le directeur de la CNAMTS.
Vers la rémunération collective partagée
Comment dès lors sortir de ce clivage et réformer le système de santé ? « Il faut se poser la questions des leviers », répond Nicolas Revel (photo) qui en identifie trois principaux. Le premier renvoie aux investissements à réaliser « en priorité sur les structures et sur les outils », dans un cadre conventionnel : « Le mode d’exercice des structures d’exercice regroupé [en maison de santé pluriprofessionnelles] sont un élément favorable pour obtenir une organisation de partage d’information et de délégation de compétence », plaide le directeur. Mais il souhaite également favoriser des formes de coordination en dehors de ces structures, afin de développer les délégations de compétences entre professionnels et d’optimiser le temps médical qui, du fait de la démographie déclinante, est de plus en plus rare. A ses yeux les CPTS sont un « objet en devenir », « à condition de leur donner une réalité ! ». Le 2è levier est relatif aux rémunération des praticiens, que le patron de l’Assurance-maladie veut faire évoluer : « la tarification à l’acte est un frein à l’évolution souhaitée », plaide ce dernier en constatant cependant que c’est « un sujet difficile, car c’est l’ADN du corps médical de ce pays ». Aussi souhaite-t-il aller plus loin dans la diversification des rémunération, introduite par les divers forfaits déjà appliqués par les médecins. Le forfait structure, demandé de longue date par MG France et porté par la dernière convention, devrait ainsi voir son montant global progresser de 100 millions en 2017 à 250 millions en 2019. Nicolas Revel considère également d’un oeil favorable le tarif parcours expérimenté dans des pays voisins à la France, qu’il aimerait importer en France : « Il faut aller vers l’intéressement à la qualité ou la rémunération collective partagée, qui constituerait un cadre plus souple, plus réactif pour conduire à ces réorganisations de notre système de santé ». Autant dire une révolution dans le secteur des soins ambulatoires ! Enfin, Nicolas Revel propose d’expérimenter et d’évaluer les expérimentations, tout en embarquant ces dernières dans le droit commun (notamment pour la télémédecine) et en veillant à ne pas étouffer les initiatives locales. « Nous sommes à un moment important, conclut le directeur. Nous sommes dans un nouveau cycle et il y a convergence des acteurs ».
Un fonds d’investissement
Pour sortir des ornières où se trouve enfermé notre système de santé, le syndicat des généralistes a son plan. Il propose ainsi de mettre un fonds d’investissement pour les soins primaires, qui soit de nature à organiser efficacement ces derniers pour répondre aux défis démographique et sanitaire des prochaines années. Car la crise démographique est encore devant nous et de l’avis des experts, elle devrait perdurer jusqu’en 2014. Autant dire que l’urgence est de ne plus attendre, face notamment à la désaffection des jeunes générations pour une médecine générale bien moins rémunérée que les autres spécialités. MG France propose une instance de pilotage national, réunissant les syndicats professionnels, la CNAM, la DGOS, la Féderation des Soins Primaires, Fédération Française des Maisons et Pôle de Santé, la Fédération des CPTS, Asalée … et
diverses personnes qualifiées. Ce comité aura pour missions de s’accorder sur un programme de travail pluri annuel, de définir un dispositif d’appui à la conduite de projets, apportant des moyens aux professionnels de santé impliqués, de repérer et d’évaluer les actions innovantes, de préparer leur généralisation et enfin de financer les projets nationaux (par ex. SIP) et les actions généralisées », explique Jacques Battistoni (photo), 1er vice-président de MG France. L’Assurance-maladie, qui participera au pilotage national du fonds, aura pour tâche de financer le dispositif national d’appui inscrit à l’Ondam et de négocier les accords conventionnels qui rémunèrent les projets de santé. De leur côté les Agences Régionales de Santé, qui recevront les déclarations de projets sur leurs territoires respectifs, financeront l’appui à ces projets et accompagneront les projets innovants en les finançant (par le Fonds d’intervention régional). Dans sa construction, le projet porté par le syndicat prévoit la création d’une banque nationale de projets et le déploiement d’une politique de soutien aux porteurs de projets. Le tout devra être inscrit au Projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) pour 2018. C’est à dire dans un calendrier proche.
Sortir de la logique du financement à l’acte
Le plan proposé par le syndicat des généralistes est désormais sur la table de la ministre de la Santé et sur celles des députés de la commission des Affaires sociales en charge de la préparation du futur budget de la santé. Présente à sa présentation au colloque de MG France, la directrice de la DGOS a insisté sur la nécessité de « donner une réponse organisée à l’usager ». « Il faut des soins primaires organisés, en amont et en aval et des acteurs de santé légitimes sur le territoire, des porteurs de projets organisés », a répondu Cécile Courrèges. Cette dernière estime nécessaire d’investir dans la structuration des soins primaires, en passant par les CPTS, un cadre collectif et intégré des acteurs de santé sur leur territoire. Mais cet accompagnement ne doit pas se faire sans contrepartie, estime la directrice. « Nous sommes, après le virage ambulatoire, dans l’innovation organisationnelle. Il faut faire évoluer les modalités de financement et sortir de la logique du financement à l’acte et à l’activité », ajoute-t-elle encore. « Le dossier est mûr, lui a répondu Claude Leicher (Photo) [cf Interview]. Mais il faut des moyens », plaide inlassablement le président de MG France qui réclame depuis des années un investissement massif sur les soins primaires. Le message est passé aux responsables politiques. Le futur PLFSS pour 2018 dira s’il a bien été reçu.
Jean-Jacques Cristofari
(1) Les CPTS ont été créés par Loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 – art. 65 (V) « afin d’assurer une meilleure coordination de leur action et ainsi concourir à la structuration des parcours de santé ». « La communauté professionnelle territoriale de santé est composée de professionnels de santé regroupés, le cas échéant, sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier ou de deuxième recours (…) d’acteurs médico-sociaux et sociaux concourant à la réalisation des objectifs du projet régional de santé. Les membres de la communauté professionnelle territoriale de santé formalisent, à cet effet, un projet de santé, qu’ils transmettent à l’agence régionale de santé. Le projet de santé précise en particulier le territoire d’action de la communauté professionnelle territoriale de santé. »
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Claude Leicher (MG France) : il faut réorganiser les soins primaires dans les territoires
Le PLFSS va être discuté prochainement au Parlement. Qu'en attendez-vous ?
Claude Leicher : d’abord une ligne de compréhension sur la direction que veut prendre le gouvernement en matière de santé. Si on nous parle uniquement des 2 ou 2,3 % d’augmentation de l’ONDAM, cela ne nous intéresse pas ! Nous attendons un PLFSS qui nous dise : « voilà le sens de l’action publique dans l’organisation des soins : nous voulons réorganiser le système de santé autour des soins primaires dans les territoires à l’initiative des professionnels de santé, avec un fonds pour financer les innovations que nous portons et soutenons depuis des années ». Si ce n’est pas le cas nous ferons pression sur le gouvernement pour qu’il modifie sa copie politique. Nous voulons donc d’abord du sens et ensuite des actes concrets pour soutenir des soins primaires qui sont en grande difficulté dans notre pays jusqu’en 2040.
Le président de la République a évoqué un plan d’investissements pour la santé de 5 milliards d’euros. Vous espérez en récupérer un morceau ?
Claude Leicher : Il faut surtout que le président de la République et sa ministre de la Santé nous disent très clairement : « j’investis une partie ou la totalité de cet argent sur les soins primaires ». Nous avons assez informé ce gouvernement des problèmes et des besoins de la population et nous attendons maintenant que le gouvernement en tire les conséquences
Quel objectif poursuivez-vous avec l’organisation de ce colloque sur les soins primaires ?
Claude Leicher : il s’agissait de faire publiquement la synthèse de nos projets pour les 10 à 20 ans qui viennent. Nous sommes à l’origine de la quasi-totalité des innovations qui se sont faites dans le champ ambulatoire – avec le médecin traitant, les maisons médicales de garde, les maisons de santé pluriprofessionnelles, le soutien aux pratiques avancées et maintenant l’organisation territoriale. Nous avons en charge notre patientèle, nos patients avec le médecin traitant et nous voyons bien aujourd’hui que l’on butte sur l’organisation de la santé populationnelle. Le dépistage, par exemple, ne marche pas en France, parce que les gens n’y participent pas et que nous n’avons plus la même relation avec nos patients pour leur proposer tel ou tel dépistage. Je ne reviens pas sur la question de la vaccination, puisque tout le monde s’accorde pour dire qu’il y a eu une erreur dans ce dossier de santé publique, l’exclusion du médecin traitant.
Il y a également la problématique des relations entre la ville et l’hôpital : nous disons aujourd’hui qu’il faut bien structurer la ville autour des soins primaires – c’est l’objectif des CPTS – et il faut que ces CPTS deviennent les interlocuteurs des hôpitaux, mais aussi des autres acteurs qui sont la PMI, la santé scolaire, la santé au travail, le secteur social et médico-social.
Nous avons aujourd’hui très clairement l’objectif de proposer aux patients une meilleure organisation des soins primaires, une meilleure lisibilité dans leur accès, territoire par territoire. C’est ce que j’avais proposé en son temps à Marisol Touraine en lui disant que c’est à partir des territoires et des acteurs des territoires qu’il faut agir. Et dans ces territoires, il y a aussi parmi nos interlocuteurs, les représentants des usagers. Nous ne voulons pas construire avec eux un système institutionnel lourd, comme cela a été fait avec les ARS. Nous voulons leur proposer des modalités d’organisation nouvelles, avec des relations apaisées entre la ville et l’hôpital au bénéfice des patients.
Nous avons cette ambition sur les 20 ans qui viennent de bien organiser le système de soins dans le territoire, parce qu’il faut de la proximité, mais en même temps de l’accessibilité à des techniques qui ne sont pas forcément dans le territoire, mais auxquelles ce dernier va garantir l’accès. C’est in fine l’intérêt de la population qui nous guide dans cette affaire.
Que dites-vous aux généralistes pour les encourager à vous suivre dans cette nouvelle voie et les encourager à agir ?
Claude Leicher : aujourd’hui un généraliste passe 100 % de son temps dans son cabinet médical, soit en présence du patient – 70 % de son temps de travail – soit hors de la présence du patient. Nous avons voulu dans une 1ère étape que la totalité de ses tâches soient rémunérées. Nous avons donc inventé les forfaits pour que les médecins soient aussi rémunérés hors de la présence du patient.
A présent nous voulons leur dire qu’ils doivent être libérés de tâches qui ne sont pas strictement médicales : les tâches administratives et dans le temps soignant, des tâches de coordination avec les autres professionnels de santé. Il faut que ce temps de travail de coordination puisse être délégué à des gens dont c’est le métier. C ‘est du secrétariat médical mais aussi des nouveaux métiers dans le champ de la coordination. Nous voulons aussi que l’on nous aide dans notre travail au quotidien dans l’accueil des patients. Il faudrait des assistants dans nos cabinets de telle sorte que nous puissions libérer du temps médical. Ce qui nous permettrait d’accueillir nos patients dans des conditions plus confortables et donc d’en prendre un peu plus – 10 ou 15 % - dans une journée de travail qui ne s’allongera pas.
Aujourd’hui, la population nous dit qu’il n’est pas normal qu’elle ne puisse pas voir son médecin quand elle le souhaite. Il faut donc libérer du temps de travail avec des fonctions support, que l’on pourrait mettre à disposition des médecins dans le cadre d’organisations territoriales dans lesquelles les médecins accepteraient de s’impliquer. Mieux s’organiser entre nous, bénéficier de fonctions supports, et mieux s’organiser avec tous ceux qui sont nos partenaires au quotidien, autres spécialités de ville, structure d’hospitalisation, secteur médico-social, santé scolaire et au travail, PMI.
Propos recueillis par J-J Cristofari
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