Démographie médicale en recul, inquiétude des généralistes en hausse

Les Français trouveront demain un médecin généraliste traitant près de chez eux pour se soigner ? La question est sur toutes les lèvres et chaque jour apporte son lot de nouvelles désaffections de praticiens sur différentes communes du territoire national. Les médecins généralistes ont du mal à trouver un successeur, à maintenir leur groupe médical en recrutant de nouveaux associés. La question de la démographie médicale embarasse les pouvoirs publics et les élus des départements ou communes de France qui, faute de rendre plus attractif un métier que ne veulent plus embrasser les jeunes médecins, ne trouvent plus que des palliatifs à un problème qui a commencé à plomber l'accès aux soins des Français. Enquête sur le mal endémique du système de santé français.

Philippe Chambraud (photo), médecin généraliste depuis 24 ans dans le 14ème arrondissement, à Paris, considère que son exercice est devenu de plus en plus complexe et a connu de nombreux changements. Dans son secteur de la Porte de Vanves où exercent 7 médecins, dont un seul a moins de 60 ans (lui même), il reconnait que la situation actuelle a atteint la côte d'alerte. En 2007, la capitale comptait 5 798 médecins généralistes. A ce jour, ils ne sont plus que 4 419 et en 2018, leur nombre passera à 4 037. Autant dire que Paris se prépare des jours difficiles pour la prise en charge du premier recours. "Nous sommes allés chercher un appui de la ville de Paris pour un pôle Santé dans lequel nous serons de 4 à 5 médecins généralistes en rattachant les internes/jeunes médecins", explique le généraliste. "La situation est identique dans tous les arrondissements de Paris et aussi autour, sur la couronne", poursuit Philippe Chambraud, où les chiffres sont en baisse et l’offre de premier recours diminue considérablement. "J’ai du mal à comprendre pourquoi les politiques ne s’en préoccupent pas. Les médecins, eux, s’en préoccupent et sont sidérés de voir que les politiques ne font rien". Un bilan fondé qui n'a cependant pas laissé indifférente la Mairie de Paris, ni la ministre de la Santé qui a récemment rappelé à La Rochelle, lors du Congrès des Maisons et Pôles de Santé de la FFMPS, qu'il fallait trouver des réponses à la question sur le plan du foncier.

Paris face au problème du foncier

Bernard Jomier, médecin dans la 19ème, maire-adjoint à la Mairie de Paris, chargé de la Santé et des relations avec l'AP-HP, soulignait de son côté, le 12 novembre dernier, lors d'une réunion de la FémasIF - qui représente en Ile-de-France la FFMPS -, que Paris était le département qui avait perdu le plus de généralistes depuis 5 ans. "L'arc Nord-Est, qui est en grande tension, va s'étendre", poursuit l'ajoint à la Santé, en soulignant qu'à Paris, la pléthore de l'offre de soins - associée à la présence du secteur hospitalier public et des cliniques privées - a masqué l'affaissement progressif de la médecine générale. Aussi la mairesse Anne Hidalgo s'est-elle saisie du problème et à décidé d'agir pour remettre en selle les soins primaires et redonner envie aux jeunes médecins qui sortent des faculté de s'installer en libéral. Car à Paris, comme en d'autres points du territoire national, l'exercice salarié fait davantage recette aurpès des jeunes générations de médecins que la pratique en libéral. "Nous n'enregistrons aucune installation en libéral au premier semestre 2014, note Bernard Jomier, contre 20 installations en exercice salarié". Aussi la Mairie de Paris entend-elle pour renforcer l'offre de soins primaires soutenir les centres de soins et les maisons de santé pluriprofessionnelles. 12 maisons de santé sont déjà ouvertes sur la Capitale et 14 autres projets sont en cours. Sur le foncier, la mairie de Paris devait faire des annonces en mars 2015.  "Nous sommes convaincus que cela s'entendra à l'avenir, mais ce n'est pas notre sujet principal, qui demeure l'accès au secteur à honoraires stricts". Mais pour avancer sur ce dossier, il manque une pierre à l'édifice : l'aide à l'installation des jeunes médecins en secteur 1. Car avec des loyers élevés sur la capitale, la question du foncier se trouve au coeur du sujet. "Nous lèverons l'obstacle du foncier" promet l'élu parisien, en recourant au parc des bailleurs sociaux de Paris."

" L’exercice va changer, poursuit de son côté Philippe Chambraud, qui prend bonne note des soutiens de la Ville de Paris, de l'Agence régionale de santé, de la Région. "On a pu avoir des subventions importantes. Certains politiques voient effectivement la gravité de la situation." Son futur pôle - 1 cabinet médical avec 4/5 médecins + son cabinet avec infirmière, kiné, orthophoniste et psychologue - a ainsi obtenu une subvention, mais le problème des recettes courantes demeure posé, car 22 % des actes sont CMU et AME, pour une moyenne de 10% à Paris, "ce qui représente 100 à 200 euros non remboursés par mois. Qu’en sera-t-il quand 100 % des visites seront au tiers-payant ?", interroge encore le généraliste parisien. "Il faudra trouver beaucoup d’énergie et de moyens pour la suite."

La responsabilité des communes

Plus à l'Est, dans l'Aube, Dominique Bastien (photo) exerce à Nogent-sur-Seine, une commune de 6 500 habitants, située dans un bassin de 10 000 habitants où sont installés 5 médecins, âgés de 67 à 46 ans. " Nous allons nous retrouver à 3 médecins - dans 2 cabinets, avec 1 secrétaire de chaque côté - à la fin de l’année pour une demande de soins primaires de 10 000 habitants, commente le généraliste. La moyenne nationale est de 800 patients par médecins traitants. De notre côté, nous serons à 1400 patients par médecin traitant." Au plan de la densité médicale, de 5 médecins pour 10 000 habitants, elle chutera bientôt à 3 pour 10 000. Depuis 2012, le territoire de la commune est déclaré zone déficitaire prioritaire par l’ARS. Ce qui augure de problèmes certains sur le registre de la couverture sanitaire des habitants. Car la commune connait aussi une mise au norme de la centrale nucléaire avec 3 000 ouvriers qui y travailleront sur 3 ans. "Comment va-t-on tenir le coup ? On va peut être devoir s’installer ailleurs…", note le médecin avec pessimisme. "Actuellement, nous consultons 12 heures par jour, avec une pause de 20 minutes le midi, et une activité de 70 heures par semaine. Autant dire que la charge de travail est beaucoup trop importante." Pourtant, dès 2011, un cri d’alarme a été lancé en direction de la mairie de l’époque. La prise de conscience était difficile pour cette dernière, car tout semblait encore aller bien. Entre temps est né un projet de Maison Médicale de Santé, validé par l’ARS. La ville a suivi le projet, a acheté un terrain et élaboré un plan en adéquation avec le projet. "Les travaux devaient commencer en mars 2014, pour aboutir à une ouverture en juin 2015. Les médecins les plus âgés étaient d'accord pour accueillir les nouveaux médecins", résume Dominique Bastien. Mais tout s'est effondré après les élections municipales de juin 2014. Le nouveau maire n'a pas poursuivi le projet et lui préfèrera un simple projet immobilier. Il reportera l’ouverture de la maison de santé au delà de 2017. Conclusion : "Ceux qui devaient partir à la retraite jettent l’éponge et la charge de travail est devenue trop importante pour ceux qui restent." " Il faudrait accueillir des médecins salariés, poursuit le généraliste. Pour remplacer les 5 médecins de Nogent, il faudrait 10 médecins en tout." Autant dire une mission impossible dans le contexte actuel ! "Il faut donner les moyens à la médecine générale pour exister, conclut le médecin. Pour l’instant on se voile la face, par exemple en ville avec SOS médecins, les cliniques etc. qui bouchent les trous." Une situation qui ne laisse guère entrevoir d'issue.

Plus à l'Ouest de Paris, Gilles Urbejtel (photo) exerce à Mantes la Ville depuis 1983 à l'issue d'un rachat de clientèle avec un autre médecin. En 2013, la commune comptait 10 médecins pour 20 000 personnes. Fin 2014, il ne sont plus que 9, dont 5 ont plus de 60 ans. De plus, aucune installation ne s'est faite depuis 10 ans. Conclusion : " En 2020, il ne restera plus que 3 MG. Est-ce vivable ?", interroge le généraliste. "La solution de facilité serait d’être au pied du RER dans une zone riche. La mairie est devenue FN et la commune est très pauvre. Il est impossible d’étendre des compétences santé à la municipalité. Elle ne peut subventionner. Un cadre national est nécessaire pour réaliser les projets de santé. Les médecins ont des propositions, des solutions. Il faut des moyens. Il faut écouter des médecins de base," ajoute ce dernier.

L'attrait des maisons de santé

Au Sud de la France, dans le Tarn, Jean Luc Régis, médecin généraliste à Mazamet a décidé de prendre sa retraite à 65 ans révolus. Après 37 années d'exercice, il a soigné plusieurs générations de mazamétains et, en tant que maître de stage, il a formé durant sa longue carrière une quarantaine de futurs médecins. Pourtant ce généraliste ne sera pas remplacé, malgré les efforts qu'il aura déployé ces dernières années pour trouver un ou plusieurs successeurs. Dans le mazamétain, sur 20 généralistes installés, la moitié a plus de 60 ans et les jeunes médecins ne veulent pas venir "à la campagne". La solution pourrait ici comme ailleurs, notamment dans le Nord de l'Aveyron, en Aubrac, passer par la création d'une maison de santé pluridisciplinaire. Jean-Luc Régis a travaillé à Mazamet Aussillon depuis près de trois ans sur le projet, qui vient d'être retenu par l'ARS de Midi-Pyrénées. Les locaux de la future MSP pourraient être installés au sein de l'hôpital. A défaut, il faudra faire appel au soutien des collectivités locales. Seule certitude, il faudra installer une maison ou un pôle de santé sur ce territoire où 4 généralistes quitteront leur cabinet d'ici la fin 2015, dont Jean-Luc Régis en juillet prochain. Une dernière chance pour amorcer des installations dans cette zone bientôt lourdement déficitaire en médecins généralistes.

Ces quelques exemples illustrent une situation qui va en se dégradant sur l'ensemble du territoire national. Pour renverser la vapeur et inciter les médecins - jeunes ou moins jeunes - à se localiser dans des zones devenues démographiquement déficitaires, de simples "primes" à l'installation ne suffisent plus. Les postes de praticiens territorial en médecine générale (PTMG) créés par la ministre de la Santé non plus.  Il faudrait aller plus loin, revaloriser les honoraires en médecine générale - au moins déjà au niveau des autres spécialités -, donner des forfaits structure aux médecins, en un mot investir dans les soins primaires et redonner de vrais lettres de noblesse à un mode d'exercice libéral qui ne recrutera plus s'il n'est pas doté de moyens à la hauteur des enjeux sanitaires auxquels se trouve confronté le pays. La ministre de la Santé le dit et le répète à longueur de discours : le défi de la modernisation du système de santé est devant devant nous ! Les généralistes, et surtout les futurs généralistes, attendent désormais que les autorités en charge de la santé traduisent le discours sur la "révolution des soins primaires" dans les faits. La loi de Santé en discussion au Parlement dira ce qu'il peut en être réellement.

JJC 

La densité des généralistes par département montre clairement que la région parisienne et les départements limitrophes vont souffrir d'une pénurie de généralistes dans les années à venir.